Voici donc une possible biographie, une parmi tant d’autres.
Yqus, Jeff Yqus est né … ça c’est sûr, il est né. Mais où et quand ? Bon, comment, c’est comme tout le monde, il n’est quand même pas sorti de la cuisse de Jupiter, il ne faut point exagérer.
Où et quand : est-ce si important ? Ce genre d’informations est-il primordial pour la compréhension de son grand œuvre ? Ne sont-ce point informations qui assujettissent, qui sclérosent, qui enferment qui orientent inconsciemment ou pas, vers des cases préétablies dont aucun artiste ne pourrait s’échapper ? Yqus né au Mali en 1984, Yqus né sur la côte Ouest des Etats-Unis en 1987, Yqus né au Japon sur l’île Okushiri en 1990, Yqus né à Saint-Chamant (Corrèze) en 1957 avouez que, suivant l’endroit et l’année de sa naissance le scénario que l’on se fabrique, l’image qu’on s’imagine de lui, de son enfance, de sa vie d’adolescent provoque des représentations mentales, des cheminements de pensée, des orientations politico-religieuses bien différents. Pour lors, ne désirant pas être à l’origine d’un scénario supplémentaire, je laisse à chacun la possibilité d’imaginer le trajet artistique d’Yqus, de sa naissance à nos jours !
Yqus est du sexe masculin, c’est écrit sur son passeport. Un homme donc ; il en est à peu près sûr. Un jeune, un moins jeune ou carrément vieux c’est selon les jours, le temps, son humeur.
Il a étudié, de façon assidue et sérieuse, à côté de la prestigieuse école des Beaux-Arts de Paris. Il a d’ailleurs tous ses cours, ses précieux croquis, ses études de nus ou de natures mortes, ainsi que les sanguines de modèles qui posaient chez lui. Sa culture artistique a été complétée par des visites à différents Musées dont l’envie lui a été insufflée lorsqu’il était petit par son instituteur. Celui-ci, plus amoureux de la peinture, du dessin ou de l’histoire de l’art que de la géographie ou que des sciences, fut un phare qui éclaira son enfance et lui fit découvrir des horizons dont il ne se serait jamais douté. Un monde à la fois à part doublement ancré dans la réalité et le rêve, s’ouvrait dans la vie du petit Jeff. Cet amour naissant pour l’art a été soutenu par l’amour pur de ses parents. Yqus se rend compte que sans lui, beaucoup de choses eussent été fort difficiles et que maintes épreuves de la vie lui furent facilitées par cet amour parental. Il se rend compte que beaucoup d’artistes qu’il connaît, qu’il a connu ou simplement ses collectionneurs, ses acheteurs, ou ses amis n’ont pas eu les mêmes conditions d’amour pour les accompagner dans leur vie.
Et pourtant, Yqus n’a pas eu d’enfants. Par choix. C’est difficile à expliquer ou à croire mais Yqus n’aime pas les enfants. Il sait que c’est mal de dire ça (et surtout de le ressentir au plus profond de soi), mais c’est plus fort que lui. Son métier, sa passion, le vouent à la solitude de son atelier et non entouré d’enfants dans un univers clos de classe ou de cour de récréation. Il aurait encore moins supporté leurs parents ou le directeur de l’école qui se serait pris pour le Gardien de la Pédagogie.
Paradoxalement, dans ses rêves, un, lui revient très souvent. Il est le père de trois enfants ! Trois ans d’écart chacun et que des garçons. Ce rêve était bizarre. Trois petits mecs autour de lui, trois jeunes hommes dynamiques et sains et trois hommes beaux, bons et bien. Quand il se réveillait, loin d’être anxieux ou d’avoir de naissants regrets, quand il se réveillait, il était comme apaisé, contenté, heureux d’avoir pu vivre, durant la nuit, une expérience parentale sans contraintes, ni stress, ni angoisses. Un amour infini pour ses fils du rêve. Et ça lui suffisait d’autant plus que la fille de trois mois de la voisine de palier, braillait régulièrement la nuit. Il était effaré par la solidité des cordes vocales d’un petit tas de viande de six kilos. Jamais une extinction de voix, jamais aphone ne serait-ce que quelques jours. Une solidité cordo-vocaliste pourtant mise à rudes épreuves que lui auraient sans doute enviée Pavarotti, Corelli, Mickaël Poulsen, Céline Dion, Etienne Daho et consorts. Souvent donc la nuit, il écoute du Bach à l’aide de petits écouteurs intra auriculaires qu’il coiffe d’un casque anti bruit de chantier pour être bien certain que la petite peut s’époumoner à loisir sans que cela ne le dérange le moins du monde. C’est ainsi qu’il retrouvait la paix, le silence intérieur et sa création.
L’absence de progéniture n’est pas due à l’absence de femme dans sa vie. Non, l’amour de sa vie, il l’avait trouvé et depuis longtemps d’ailleurs; c’était Okhad. Sa muse. Le statut de muse d’artiste, ne coïncidant pas tout à fait avec celui de mère (au foyer ou pas), elle n’eut donc pas d’enfant d’Yqus. Elle s’occupe d’elle, de son esprit, des autres, de son corps, de son artiste, de sa carrière et partage également son aversion pour les enfants ce qui est fait pour les rapprocher encore plus. Aversion pure, puisqu’elle ne rêve jamais de classe de CP ou de petite section.
L’enfant c’est lui, Yqus. Ses tableaux, ses installations, ses sculptures, ses lampes, ses poèmes sont autant de pères si différents, de géniteurs si complémentaires, de patriarches si yingyang-esques. Il nait œuvre après œuvre, chacune l’aidant à grandir puisqu’il le faut bien. Chaque création lui apporte son lot de difficultés, de contraintes qu’il faut vaincre ou contourner. Elle le tient toujours loin de l’ordinaire ou du convenu. L’harmonie, la sérénité, la vie qu’il reçoit de sa création l’équilibrent et l’apaisent.
Car il faut bien l’avouer, dans le monde de l’art contemporain, Yqus est … à part. Moi qui le connais depuis de nombreuses années, il m’étonne encore. Parfois il me sidère, comme lorsqu’il a refusé une exposition à la « Gallery 18/07 » de New York ou la galerie Olivier Waltman de Paris ou encore la Galleria Franco Noero de Turin. Il préfère exposer dans des galeries éphémères, ou lors d’expositions dans des villages, genre « Le printemps des artistes ». Ses œuvres, il veut les confronter aux gens, au peuple, et plus le spectre est large parmi la population de visiteurs, plus il est content.  Souvent, à l’occasion d’une exposition, une de ses œuvres le quitte, va faire sa vie chez quelqu’un d’autre et lui raconter une histoire. Des liens vont se tisser (ou pas), cette relation durera (ou pas), cette œuvre sera aimée de plus en plus (ou de moins en moins), elle sera protégée (ou négligée). La relation du couple admirateur-œuvre prend vie et durera (ou pas) comme dans la vie en quelque sorte.
Yqus est secret. Ses sources d’inspirations, mystérieuses. Son caractère, versatile. Rarement, après qu’il a bu quelques gorgées de Château d’Yquem ou de Haut Brion ou du « Sang du calvaire », je suis arrivé à recueillir quelques confidences d’Yqus. Des bribes de lâcher prise. Oh, au final, rien de révolutionnaire, une confidence, puis une autre … Il aurait aimé avoir un frère (et surtout pas une sœur), qui aurait joué avec lui, qui aurait appris la musique, joué du violon, de l’alto, peu importe ; ils auraient partagé leur amour de la musique, il lui aurait fait découvrir le piano, l’opéra etc. Ils auraient vécu aussi de belles soirées avec des copains autour de bonnes bouteilles. Comme « Mon frère » de Maxime le Forestier, Yqus se fabrique une famille. Un verre de vin. Il aurait aimé avoir un copain motard avec un grand cœur tout neuf car Yqus n’y connaît absolument rien en mécanique. Il aurait chevauché sa bécane, derrière lui, les cheveux au vent. Une autre fois un verre de vin. S’il avait été internationalement connu, il aurait aimé avoir une secrétaire jolie (en tout bien tout honneur), qui lui aurait enlevé toutes les difficultés administratives, ou de gestion, ou de comptabilités, enfin tous ces trucs chronophages qui brident la création. Plus tard un verre de vin. De ses années d’études, il aurait aimé avoir un couple d’amis mari et femme. Des amis qui sont là, sur qui on peut compter même si leurs yeux ne se croisent pas souvent. Ils auraient pu aller camper en Bretagne, skier dans le Vercors et plein de choses encore. Un soir un verre de vin. Il aurait pu avoir un vieil ami, un sage réel, une lumière, un combattant, un philosophe, un libre penseur, un défenseur de la nature. Avec lui, il serait allé marcher longtemps et haut, et il aurait appris.
Tout inspire Yqus mystérieusement. Une branche, des mots, une photo, un sourire, une souffrance, une technique, un matériau. C’est bizarre comme une idée de création surgit de nulle part, de rien du tout. Peut-être qu’elle ne touchera qu’une ou deux personnes, peut-être plus. Tout inspire Yqus sauf « la connerie humaine et encore plus que la connerie humaine, la bêtise humaine qui fait jeter une canette de bière, des flots de produits toxiques, un kleenex, des pesticides dans une rivière, un mégot par terre, n’importe où plutôt que dans une poubelle ». Cette connerie humaine le mine et le désespère souvent, mais Yqus se bat. Dans son cocon d’atelier, Yqus a conscience aussi, que sa création le rend égoïste, l’enferme sur lui-même et paradoxalement, le coupe des autres, du monde. Il va donc marcher avec des amis mais il trouve un tronc, une pierre … et c’est reparti… De retour à l’atelier, isolement, essais, tentatives, échecs de nouvelles techniques, création, résolution de problèmes… Dans son atelier, trônent les photos de ses « maîtres ». Oh, rien de très original : une photo de Picasso, de Puccini, de Rodin, de Bach, de Van Gogh, Arman, César, Woolf, Verdi, Beethoven et Michael Poulsen.
Et puis, sur une poutre de son atelier, il a écrit une phrase de Saint Bernard qu’il a fait sienne « Un cœur qui rayonne a plus de lumière qu’un esprit qui brille ».
B.M.